PERSPECTIVES 2023 : LA PHASE DE CAPITULATION

STRATEGIE ET THEMATIQUES
La récession ne fait que commencer et le bear market boursier n'est pas terminé
Les banques centrales risquent de provoquer une crise sur la dette
Afin de garantir la stabilité financière, elles devront "pivoter" brutalement
En attendant le creux du cycle, les investisseurs profiteront des atouts des actifs défensifs

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "L'objectif principal sera d'éviter les bull traps"

ANALYSE DES MARCHÉS FINANCIERS

L'heure est venue de dresser le scénario macroéconomique et financier pour 2023 et de tracer les contours pour 2024. Tandis que 2020 aura été l'année du covid, 2021 celle de l'exubérance, 2022 restera dans la mémoire collective des investisseurs comme l'année du double bear market. Les marchés boursiers et obligataires ont enregistré des pertes importantes et simultanées. Un tel événement ne s'était pas produit depuis 1969. En Europe, les portefeuilles balancés gérés par les services de gestion de fortune enregistrent des performances de -12% en moyenne (cf. Fig. 2).

Pour entrevoir ce que réserve l'année prochaine, nous continuons de nous appuyer sur des modèles économétriques propriétaires. Leurs estimations précédentes, quoique imparfaites, se sont révélées relativement correctes (cf. articles du 29/11/2021 et du 01/02/2021). Le principal avantage de cette approche quantitative est qu'elle permet d'éviter les biais comportementaux. Elle préserve l'objectivité. Par rapport à nos prévisions de l'an dernier, trois éléments sont venus aggraver la situation : l'envolée de l'inflation, la guerre en Ukraine et la stratégie zéro covid de la Chine. Les deux premiers continueront d'avoir un impact sur les marchés financiers l'an prochain.

Otons tout suspens à cet article : 2023 devrait être l'année des bull traps et de la capitulation des investisseurs en actions. En termes militaires, la capitulation est une convention établie entre nations belligérantes, par laquelle le pays vaincu se rend, cesse toute résistance, et s'en remet au bon vouloir du vainqueur. De manière moins connue, le mot vient du latin capitulum qui signifie chapitre, car habituellement les conventions de reddition sont constituées de nombreux chapitres. Par analogie, en finance, la phase de capitulation nécessite plusieurs séquences préalables (cf. Fig. 3). La dernière se matérialise lorsque les investisseurs abandonnent massivement et précipitamment le marché, en vendant leurs actifs à tout prix, même en cas de moins-values, pour se réfugier sur d'autres investissements. On parle également de vente panique. Dans la plupart des cas, la capitulation complète correspond au point bas du marché.

En 2023, les investisseurs devront relever plusieurs défis : éviter les faux départs, faire le dos rond durant les phases de panique, mais aussi identifier le début du prochain bull market. Pour ce dernier point, au moins un de ces trois signaux devra passer du rouge au vert :

  • un rebond des indicateurs économiques avancés
  • une politique monétaire très accommodante
  • une capitulation des investisseurs.

Etudions le scénario plus en détail. Sur le plan économique, la récession ne fait que commencer, que ce soit aux États-Unis, en Europe, au Japon ou dans la plupart des pays émergents (cf. Fig. 4). Les entreprises ont déjà stoppé leurs dépenses d'investissement et les créations d'emplois sont progressivement en train de faire place à des vagues de licenciements. Au final, seule la Chine semble pouvoir tirer son épingle du jeu en allégeant sa stratégie de confinement pour lutter contre le covid et en faisant tourner ses usines à plein régime.

L'inflation reculera significativement (cf. Fig. 5) mais les prix demeureront élevés puisque le choc d'offre se prolonge, que les effets de second tour s'amplifient via la hausse du prix des services et l'accroissement des revendications salariales, et que la volatilité des prix auto-alimente la hausse des anticipations d'inflation. Dans cet environnement les ménages verront leur pouvoir d'achat se contracter davantage, freinant la demande.

Cet environnement de récession sera accentué par l'erreur de politique monétaire commise en 2022. En voulant normaliser leurs taux directeurs, les banques centrales semblent avoir oublié que les ratios de dettes sont si élevés que la moindre hausse de taux rend la charge de la dette insoutenable, pour les Etats mais également pour les entreprises et les ménages. Bien que louable, la lutte contre l'inflation est en train de provoquer une crise de la dette. Suivra un choc de solvabilité et de liquidité en 2023.

Pour éviter que cette crise ne vienne gripper tout le système, les banques centrales devront "pivoter" précipitamment : la stabilité financière aura la priorité sur la lutte contre l'inflation. Dans notre scénario, la Fed et la BCE pourraient faire le choix de ramener les taux directeurs près de zéro, relancer une vague de création monétaire (Quantitative Easing) et inaugurer un contrôle de la courbe des rendements (Yield Curve Control). Ce revirement de politique monétaire entraînera mécaniquement les rendements obligataires vers de très bas niveaux (cf. Fig. 6), bien loin des estimations du consensus.

D'aucuns pourraient en conclure que le marché des actions saluera cet afflux de liquidités. Malheureusement, comme en 2001 ou en 2008, la situation sera trop récessive pour que les marchés boursiers repartent instantanément à la hausse. Une succession de bull traps entraînera les indices vers de nouveaux points bas (cf. Graphique de la semaine) et dissuadera progressivement les investisseurs de prendre des risques : ce sera la capitulation.

Anticiper à quel moment les investisseurs capituleront est actuellement impossible. Tout dépendra du temps que mettront les banques centrales à se rendre compte de leur erreur. Le plus tôt sera le mieux. Si ce bear market continue de ressembler à celui du dégonflement de la bulle internet (cf. Fig. 7) et à la crise des subprimes, alors le creux de marché pourrait être atteint au cours des derniers mois de l'année 2023, ouvrant la voie à un rebond fulgurant en 2024. Si les banques centrales réagissent très rapidement, alors cela pourrait être avant. Si elles tardent trop, la crise pourrait s'éterniser et devenir historique. Nous développerons ce scénario alternatif lors d'une prochaine analyse.

Ce scénario est-il trop sombre ? C'est possible dans la mesure où il est le fruit d'une succession de prévisions imbriquées. Le risque d'erreur n'est jamais nul, mais ce scénario a plusieurs atouts : il est construit de manière quantitative sans biais humain, il est élaboré sans conflit d'intérêts, et il est la suite logique et cohérente des scénarii qui ont délivré de bons résultats au cours des cinq dernières années. Nous ne manquerons pas d'améliorer les perspectives pour 2023 à la moindre bonne nouvelle, mais d'ici là les investisseurs avertis sauront en tirer profit :

  • La diversification redeviendra un "must" dans la construction de portefeuilles.
  • Les obligations souveraines et d'entreprises de bonne qualité profiteront du "pivot" des banques centrales et de la baisse des rendements associée.
  • Allonger la duration permettra de profiter du recul de l'inflation et plus encore d'un éventuel Yield Curve Control.
  • Les actions défensives, qu'elles soient issues des secteurs de la santé ou de la consommation courante, cotées en Suisse, ou de style Value (cf. Fig. 8) surperformeront, comme à chaque bear market.
  • Les actions et les obligations des pays émergents, notamment chinoises, devraient faire leur grand retour après plusieurs années difficiles.
  • Le dollar réduira sa surévaluation au profit de monnaies telles que l'euro et plus encore du franc suisse (cf. Fig. 9).
  • L'or s'appréciera, après avoir souffert de la rémunération positive du cash et de la vigueur du dollar.
  • Les matières premières, notamment énergétiques, continueront de jouir du sous-investissement passé, tandis que les métaux industriels devront patienter d'entrevoir le rebond cyclique.
  • Les produits structurés à capital garanti, qui ont fait leur grand retour en 2022, passeront progressivement le relais aux stratégies de participation.

Conclusion

L'année 2023 ne s'annonce pas plus simple que 2022. Les investisseurs les plus expérimentés se souviendront que les récessions sont généralement plus douloureuses qu'initialement escompté par le consensus. Ce phénomène est accentué lorsque les banques centrales durcissent les conditions d'octroi de crédits, provoquant une crise immobilière, voire une crise systémique. Le bear market boursier devrait donc durer encore quelques trimestres, jusqu'à ce que les investisseurs échaudés finissent par capituler. Dans l'intervalle, les obligations, l'or et les actions défensives permettront d'améliorer la performance des portefeuilles.

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