LES ASSUREURS SONT-ILS EN SÉCURITÉ ?

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Les assureurs connaissent des performances divergentes selon leurs activités
La remontée des taux bénéficie davantage au passif du bilan des assureurs-vie…
…mais c’est l’actif du bilan qui inquiète les investisseurs
Les problèmes des banques régionales américaines pourraient-ils affecter les assureurs ?

Graphique de la semaine : "Impact de la hausse des taux pour les assureurs-vie"

ANALYSE DES MARCHES FINANCIERS

Malgré sa surperformance par rapport au MSCI World sur les douze derniers mois, le MSCI World Insurance sous-performe massivement depuis trois mois. La faillite de la Silicon Valley Bank, due à la remontée trop rapide des taux d’intérêt et à une mauvaise gestion actif-passif, a fait craindre aux investisseurs des conséquences similaires pour les assureurs-vie américains. Ceux-ci ont le plus reculé et sont maintenant en baisse d'environ -17% depuis le début de l'année, alors que les assureurs multirisques sont en baisse de seulement -3%. La même chose s'est produite en Europe, mais dans une moindre mesure. Les assureurs-vie européens baissent de -4%, les assureurs multirisques sont en hausse de 1% et les réassureurs européens affichent une performance positive de 4%.

La remontée des taux bénéficie davantage au passif du bilan des assureurs-vie…

Les compagnies d’assurance ont des modèles d’affaires complexes reposant sur des calculs actuaires ou des statistiques. Les compagnies d’assurance-vie, en particulier, doivent gérer la variable temps. Leurs contrats courent parfois sur plusieurs décennies, ce qui augmente le risque d’erreur.

Le fonctionnement d’un contrat d’assurance-vie est le suivant : le signataire s’engage à verser des cotisations périodiques pour constituer une épargne. L’assureur, en contrepartie, doit faire fructifier cette épargne pour pouvoir verser un capital ou une rente au bénéficiaire du contrat.

Les mouvements des taux d’intérêt jouent donc un rôle important dans le calcul de la prime d’assurance mais affectent aussi la performance nécessaire pour faire fructifier l’épargne et parvenir au capital final ou à la rente prédéfinie ou estimée. Lorsque les taux d'intérêt augmentent, le rendement attendu des investissements de l'assureur sur les primes payées par les assurés augmente. Cela peut engendrer des bénéfices pour l'assureur, et se traduire par une diminution des primes ou une amélioration des prestations pour les assurés. En outre, si l'assureur investit les primes dans des obligations, la hausse des taux d'intérêt entraîne une hausse du rendement de ces titres, ce qui profite également aux assurés (cf. Graphique de la semaine).

Pour s’assurer que les compagnies d’assurance seront capables de payer leurs engagements contractuels, le régulateur a institué un régime prudentiel appelé « Solvabilité 2 », implémenté depuis janvier 2016 et inspiré du régime « Bale III » mis en place dans les banques. Le ratio de solvabilité est déterminé en fonction des risques assuranciels, des risques de marché ou des risques opérationnels. Les variations de taux d’intérêt peuvent avoir une influence sur chacun de ces risques et ont donc plus ou moins d’effet sur le ratio de solvabilité de l’assureur selon son mix produit mais aussi selon ses décisions d’investissement (cf. Fig. 2).

La hausse des taux d'intérêt peut avoir un impact à la fois sur l'actif et le passif d'une compagnie d'assurance-vie, mais elle a généralement un impact plus important sur le passif du bilan pour des raisons d’échelle. En effet, les prestations futures versées aux assurés sont souvent des engagements à long terme dont les montants sont fixes ou garantis. Lorsque les taux d'intérêt augmentent, la valeur actuelle de ces paiements futurs diminue, ce qui signifie que le passif du bilan de l'assureur diminue également.

…mais c’est l’actif du bilan qui inquiète les investisseurs

À l'actif du bilan, les assureurs-vie investissent généralement dans des titres à revenu fixe, tels que des obligations, qui fournissent un flux régulier de revenus. Lorsque les taux d'intérêt augmentent, la valeur de marché de ces titres peut diminuer et entraîner une baisse des gains, voire des pertes, dans le portefeuille d'investissement de l'assureur. Toutefois, les pertes sont généralement plus faibles que l’effet bénéfique sur les engagements des assureurs.

Il est donc primordial d’étudier à la fois les conditions des souscriptions des nouveaux contrats d’assurance-vie mais aussi les portefeuilles d’investissement des assureurs. Ces dernières années, les assureurs ont diversifié leurs portefeuilles d’investissement vers des actifs illiquides tels que l’immobilier ou l’infrastructure afin d’en augmenter le rendement. En effet, dans un régime de taux d’intérêt bas, voire négatifs, qui a perduré depuis la grande crise financière, les placements obligataires offraient des rendements insuffisants.

Si l’actif du bilan inquiète, c’est que les compagnies d’assurance détiennent dans leurs portefeuilles des positions plus cycliques et sensibles aux taux. En effet, les assureurs ont parfois pris le relais des banques pour accorder des prêts immobiliers, notamment dans l’immobilier commercial américain comme les immeubles de bureaux. En Europe, les compagnies d’assurance ont également investi dans l’immobilier commercial et un peu dans les « Cocos » ou AT1 de banques européennes pour booster les rendements de leur portefeuille obligataire. L’allocation reste cependant très défensive avec plus de 30% d’obligations gouvernementales (cf. Fig. 3).

Le plus important est d’étudier le risque de chaque classe d’actifs, que ce soit le risque crédit dans le portefeuille obligataire (cf. Fig. 4) ou l’exposition sectorielle du portefeuille immobilier (cf. Fig. 5).

Les portefeuilles des assureurs sont effectivement exposés à des actifs dont les fondamentaux pourraient se détériorer substantiellement en période de crise économique et dont la liquidité est limitée. La situation de l’immobilier commercial américain demeure préoccupante, surtout si les taux d’intérêt restent élevés. Parmi les assureurs-vie, Principal, MetLife et Brighthouse sont les plus exposés (cf. Fig. 7). En général, la qualité de leurs prêts est élevée, avec des ratios prêt/valeur nette d’inventaire de l'ordre de 50%, ce qui permet d'amortir toute défaillance.

Concernant les portefeuilles obligataires, les craintes des investisseurs face à l’exposition des assureurs aux banques européennes via les AT1 devraient s’estomper. La volatilité récente n’était pas due à une détérioration de la notation de crédit des banques européennes mais à la situation spécifique de Crédit Suisse.

La comptabilité des assureurs a encore été renforcée depuis janvier 2023 avec l’implémentation de nouvelles normes comptables IFRS17 qui harmonisent les informations financières des assureurs et permettent une meilleure comparabilité.

Les problèmes des banques régionales américaines pourraient-ils affecter les assureurs ?

Les banques régionales américaines ont perdu la confiance de leurs épargnants et des investisseurs, suite à la faillite de la Silicon Valley Bank. Cette perte de confiance a été causée par une mauvaise gestion de l’actif-passif, exacerbée par la remontée trop rapide des taux d’intérêt.

Les assureurs ne devraient pas connaître les mêmes déboires :

  1. Il ne peut pas y avoir de « bank run » chez les assureurs. Les clients peuvent chercher des placements plus rémunérateurs en cas de hausse des taux mais n’ont pas intérêt à clôturer des contrats d’assurance-vie existants. Ils perdraient les avantages fiscaux liés à ces contrats. Les polices d'assurance-vie prévoient souvent des frais de rachat ou des pénalités importantes qui dissuadent les assurés de résilier leur police avant terme. Ces pénalités peuvent être importantes, en particulier au cours des premières années d'une police, et peuvent effectivement bloquer les assurés pendant un certain temps.
  2. Les compagnies d'assurance sont tenues par la loi de maintenir des réserves et de répondre à des exigences de solvabilité afin de garantir qu'elles disposent des ressources financières nécessaires pour payer les sinistres lorsqu'ils surviennent. La solvabilité des assureurs n’a jamais été aussi élevée, ce qui devrait rassurer les investisseurs (cf. Fig. 6).

Le plus gros travail pour les assureurs est de faire souscrire des contrats au juste prix pour attirer des nouveaux clients, tout en garantissant la profitabilité de l’activité. Les compagnies d’assurance sont en général bien couvertes contre les risques de taux. Elles le sont moins contre les risques d’inflation.

L’inflation va concerner principalement les salaires et les frais de gestion généraux. Pour les compagnies d’assurance santé et assurances multirisques, les primes sont réévaluées chaque année, ce qui permet d’inclure les effets inflationnistes. Pour les polices d’assurance-vie, les rendements des placements doivent être suffisants pour couvrir les hausses des frais de gestion.

Conclusion

Le secteur est exposé à de nombreux risques, tout comme le secteur bancaire, mais son métier intrinsèque consiste justement à les anticiper et à conserver une large marge prudentielle. Les compagnies d’assurance ne sont pas cycliques même si elles ont connu quelques années difficiles au lendemain du dégonflement de la bulle internet (2003) et de la crise financière (2009). Sur le long terme, elles offrent une bonne visibilité des résultats, génèrent de juteux cash-flows et délivrent de généreux rendements à leurs actionnaires.

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