LE SYSTÈME BANCAIRE VICTIME DE L’EFFET CISEAUX

STRATEGIE ET THEMATIQUES
Comment expliquer les déboires des banques régionales américaines ?
Ces faillites sont-elles annonciatrices d’une nouvelle crise majeure ?
Les mesures prises par la Fed et le Trésor rassurent les investisseurs… temporairement
Les banques européennes semblent plus sereines après 15 années de rigueur réglementaire

GRAPHIQUE DE LA SEMAINE : "Les débits bancaires se contractent aux Etats-Unis"

ANALYSE DES MARCHÉS FINANCIERS

Le cours des banques américaines, notamment des banques régionales, a dégringolé suite à la faillite de la Silicon Valley Bank (SIVB), maintenant communément appelée la « National Bank of Santa Clara » jusqu’à la liquidation totale de ses actifs. Le secteur bancaire qui semblait avoir recouvré la confiance des investisseurs est affecté globalement puisque les banques européennes ont également fortement corrigé.

Comment expliquer les déboires des banques régionales américaines ?

La faillite de la SIVB n’arrive pas par hasard. Elle est le résultat de plusieurs crises majeures que les autorités ont tenté de juguler. En premier lieu, l’injection massive de cash dans l’économie pendant la pandémie de Covid-19 a contribué à créer des bulles spéculatives sur de nombreux marchés dont l’immobilier, les cryptomonnaies et les valeurs de croissance comme les véhicules électriques ou les énergies renouvelables (cf. Fig.2 et 3).

La croissance du bilan des banques régionales californiennes reflète cet afflux massif de liquidités venues financer le secteur technologique dans son ensemble, des start-ups aux grandes capitalisations.

En deuxième lieu, les problèmes d’approvisionnement pendant la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine ont accéléré l’engrenage inflationniste.

Enfin, l’ultime couperet est tombé avec le changement drastique de politique monétaire de la Fed pour contenir l’inflation, asséchant rapidement les liquidités exubérantes des années covid.

La SIVB n’a pas su gérer ces arrivées massives de cash, et le déséquilibre de la duration entre l’actif et le passif a tout fait chavirer dès que les flux de dépôts bancaires ont commencé à se raréfier. Elle n’est certainement pas la seule. Les banques régionales dont les actifs étaient inférieurs à 700 milliards de dollars bénéficiaient d’un allègement réglementaire depuis 2018 et le fameux décret de l'administration Trump « Economic Growth, Regulatory Relief and Consumer Protection Act ». Elles n’ont donc pas subi la même pression réglementaire que les grandes banques (G-SIB).

Les clients privilégient désormais les grosses banques comme JP Morgan, Citi ou Bank Of America pour ouvrir des comptes de dépôt, sachant qu’elles sont supervisées très strictement par le régulateur et sont donc certainement plus sûres…

Ces faillites sont-elles annonciatrices d’une nouvelle crise majeure ?

Dans l’histoire, les faillites de banques ont souvent été précurseurs de crises financières majeures. Il n’est pas rare qu’elles aient des répercussions importantes sur l'économie et le système financier dans son ensemble.

La crise financière globale de 2008 a été déclenchée en partie par l'effondrement de plusieurs grandes banques et institutions financières aux États-Unis, dont la faillite de Lehman Brothers.

La crise financière asiatique de 1997 a eu des répercussions économiques majeures dans toute la région. Elle a été causée, là encore, par la faillite de plusieurs grandes banques asiatiques, qui avaient accumulé des niveaux élevés de prêts non performants.

La crise bancaire suédoise de la fin des années 1980 était due à la mauvaise gestion des prêts hypothécaires et à l’éclatement de la bulle immobilière suédoise. Les banques ont subi de lourdes pertes et plusieurs d'entre elles ont fait faillite, entraînant une récession en Suède.

La dépression des années 1930 a été causée en partie par une vague de faillites bancaires, qui ont englouti les économies de nombreux Américains et contribué à des difficultés économiques généralisées.

Les faillites des banques régionales américaines sont révélatrices d’un malaise sur les marchés. L’effet ciseaux sur les dépôts bancaires (Graphique de la semaine) n’est peut-être que la partie émergée de l’iceberg. Jamais autant de liquidités n’avaient en effet inondé le marché et jamais un resserrement monétaire n’avait asséché si rapidement les flux de financement.

L'augmentation des pertes sur les obligations a coïncidé avec une baisse des dépôts dans les banques, les épargnants étant à la recherche de rendements plus élevés alors que la Réserve fédérale ne cesse de relever les taux d'intérêt.

Les mesures prises par la FED et le Trésor rassurent les investisseurs … temporairement

La Fed, en accord avec le Trésor et l’autorité fédérale assurant les dépôts bancaires ou FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation), a rapidement pris des mesures pour éviter que le « bank run » sur SIVB ne se propage à d’autres banques régionales.

Les banques en manque de liquidités pourront donc faire appel à la Fed en échange de bons du trésor reconnus à leur valeur nominale - c'est-à-dire sans comptabiliser la décote due à la hausse des taux. De cette manière les autorités espèrent endiguer la fuite des dépôts. Les banques régionales vont devoir augmenter les rendements sur les dépôts (aussi appelé deposit beta) afin de retenir les clients. La compétition entre banques risque de s’intensifier et de rogner leurs marges.

A priori les mesures prises devraient suffire à rassurer les investisseurs mais les clients continuent de transférer leurs avoirs vers des banques de taille plus importante, mieux supervisées.

Les banques européennes semblent plus sereines après 15 années de rigueur réglementaire

Les banques européennes ne sont pas immunisées contre les récessions mais ces quinze dernières années de restructuration et de mise en place de garde-fous réglementaires ont fortement renforcé le secteur. Les banques européennes présentent des différences importantes par rapport aux banques américaines :

  • Les banques européennes sont mieux capitalisées (cf. Fig. 4).
  • Elles bénéficient d’afflux de dépôts à moindres frais et peu volatils.
  • Elles reconnaissent les pertes sur leurs actifs liquides (AFS – Asset For Sale).
  • Elles ont davantage d’actifs détenus jusqu’à l’échéance (HTM – Held to Maturity).
  • Le taux de prêt en pourcentage des dépôts est nettement inférieur, soit 61% contre 73% aux Etats-Unis. Elles génèrent donc plus de revenus sur des activités de dépôt que sur les prêts.
  • Le régulateur s’assure par des tests de résistance annuels que les bilans des banques restent solides en cas de scénario adverse ou que la duration sur l’actif/passif demeure équilibrée.
  • La BCE a récemment approuvé de nombreux programmes de rachat d'actions par les banques, confirmant, par la même occasion, le niveau adéquat de capital de celles-ci.

Conclusion

Le secteur financier montre des signes inquiétants de faiblesse face à la remontée trop rapide des taux. Cependant, les banques centrales tentent de conforter les investisseurs et les épargnants afin d’éviter d’autres faillites bancaires et de stopper tout risque systémique à sa source. L’ajustement économique dû au resserrement monétaire en cours peut prendre du temps alors que la récession gagne du terrain. Le secteur technologique est le premier à connaître des difficultés de financement. Il devrait être suivi par le secteur immobilier et le reste de l’économie.

RENDEMENT DES ACTIFS FINANCIERS